Aux USA, la liberté de l’individu est incontestablement le principe fondamental. Mais l’interprétation que les uns et les autres font de cette liberté varie largement en fonction de leurs valeurs. La liberté de l’individu est-elle, par exemple, celle de la femme qui désire avorter parce que le gouvernement n’a pas à interférer dans sa vie privée, ou est-elle droit du fœtus à la vie ? Est-elle dans la libre concurrence entre assurances médicales privées, avec l’idée que l’individu doit se « débrouiller », « lutter », « travailler » pour payer la protection nécessaire de sa santé ? Ou est-elle dans l’intervention d’un gouverne ment qui décide que le premier droit de l’individu est celui de ne pas mourir, faute de soins médicaux ? On oscille entre, d’un côté, une forme de libéralisme sauvage adossé à la domination du plus fort (forme socialisée du darwinisme : survie des plus adaptés), tempéré par une charité fondée sur le bon vouloir, et, de l’autre, une démocratie sociale qui considère que la liberté de l’individu doit être garantie en partie par l’État afin que le plus faible ne soit pas écrasé. Entre les deux conceptions, pas de conciliation possible. Et pourtant, l’Amérique essaie de marcher sur cette fine crête, entre les aspects les plus noirs du culte de l’individu qui laisse celui-ci seul et sans armes pour affronter ses difficultés, et ses aspects les plus positifs qui insufflent une incroyable énergie au pays, via la foi que chaque individu peut avoir en lui-même et que la société a en lui. L’ Amérique n’est pas l’Europe, ne le sera jamais, n’aspire pas à l’être. Les Américains sont fiers de valoriser l’individu, et ils sont convaincus que le prix qu’ils paient pour leur absence de protection sociale et d’intervention du gouvernement est, en partie, nécessaire à l’entretien de leur dynamisme et de leur esprit d’entreprise. Européens habitués à disposer d’avantages sociaux, nous ne pouvons qu’être choqués en lisant les statistiques des Américains sans assurance médicale et, plus encore, combien meurent faute de couverture médicale, au XXIe siècle, dans le pays le plus riche du monde. Eux sont choqués de découvrir le nombre de personnes « assistées » par l’État dans un pays comme la France. Ils y voient une autre mort de l’individu : celle d’un pays qui, au lieu de créer des opportunités pour les siens, leur tend une canne pour éviter la chute. Tous les Américains se disent patriotes. Leur patriotisme est une force et conduit chaque citoyen à se sentir fier d’appartenir à son pays et à éprouver le sentiment qu’il est de sa responsabilité de développer tout son potentiel et d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés, non seulement pour lui-même, mais aussi pour contribuer à la grandeur de son pays. Il est une force lorsque les Américains expriment leur sens de l’autre et font preuve d’une grande générosité à l’égard de l’homme méritant dépourvu des moyens matériels. Dès l’école, l'estime de soi et le sens de l’appartenance à une communauté sont des valeurs qu'il faut arroser comme on le fait pour une jeune plante. Par conséquent, dès la petite enfance parents et pédagogues devraient s’employer à développer l’estime de soi de l’enfant. Ce que les anglophone appellent avec justesse: le self-esteem. L’idée, toujours, est que chacun se sente fier de lui-même et se rende compte que chaque élève de la classe a, lui aussi, une raison d’être fier de lui-même. De même, les parents devraient se convaincre que dans la vie tout le monde ne peut pas être neurochirurgien ou savant atomiste, dès lors et malgré cela, une estime de soi et l'estime des siens devrait demeurer. Quand on est baigné dans ce genre d'ambiance, on n'a pas peur de rentrer à la maison avec un 6 ou 7/10 au lieu d'un 10/10. Vous voyez ce que je veux dire ? Est-ce sous ce type de parapluie que j'ai vécu lorsque l'orage menacait ? Non, bien sûr que non. N'en déplaise aux détracteurs de l'enseignement modernisé et ce qu'ils affirment à propos du bon vieux temps de l'écriture sur trois lignes et la soi-disant tempérance des éducateurs qui nous entouraient, j'ai surtout dû bêler sur la musique que l'instituteur jouait et dire merci pour la petite laine qu'il faisait pousser sur mon dos. Quitte à ne pas trop aimer cette toison et ne pas avoir compris qu'il s'agissait d'un revêtement protecteur indispensable à la réussite.